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Résumés des articles du n°105

mars 2005


Jacqueline BACHA, La conjonction car dans La Queste del Saint Graal, 105, p. 15-18

Les conjonctions car, parce que et puisque sont données par les dictionnaires et les grammaires comme les connecteurs interpropositionnels de cause les plus fréquents. Leur fonctionnement en français moderne (FM) a fait l’objet de nombreuses études auxquelles la linguistique de l’énonciation et la pragmatique ont apporté une importante contribution. Le comportement des trois connecteurs en ancien français (AF) a été moins étudié, en raison peut-être de la difficulté de travailler sur un état de langue révolu et de l’impossibilité de restituer l’usage du locuteur dans sa pratique spontanée. Nous nous proposons d’examiner ici le comportement et les emplois de la conjonction car dans La Queste del Saint- Graal, roman anonyme du XIIIe siècle, en raison de sa très grande fréquence. Nous commencerons par examiner le fonctionnement syntaxique du connecteur. La seconde partie sera consacrée à l’étude de ses propriétés énonciatives. Nous aurons recours aux notions de « dit » et de « dire » (pour reprendre la dichotomie de Ducrot) et à celle d’« acte de parole ».


Ponchon T., L’expression de la conséquence dans La Queste del Saint Graal, 105, p. 19-22

La conséquence s’inscrit dans une relation d’implication qui fait d’un procès second la suite logique et nécessaire d’un premier (L. Guibert et al., 1971 : II-917). L’ancien français présente des moyens variés et des marques spécifiques pour exprimer ce rapport consécutif (G. & R. Le Bidois, 1971 : II-480 et Cl. Buridant, 2000 : 619 sq.). Ne prétendant pas faire le tour de la question, cet article restreindra l’étude et l’analyse aux seuls marqueurs explicites (simples et complexes) de relation consécutive utilisés par le narrateur de La Queste del Saint Graal


Eric TOURRETTE, Cyrano et la concaténation, 105, p. 32-33

Cyrano de Bergerac traduit rythmiquement son intérêt pour le concept d’“ enchaînure ”, linguistique ou extra-linguistique, par un usage assez régulier, dans Les États et empires de la lune et du soleil, de la concaténation, cette figure ouvertement artificielle qui consiste à relancer chaque nouvelle proposition sur ce qui fermait la précédente. La raideur toute mécanique du procédé le prédispose évidemment aux effets comiques, mais quelque chose d’essentiel s’y joue par ailleurs : une tendance presque structurale à saisir les relations plutôt que les unités, et un souci constant de relativiser rangs hiérarchiques et présupposés idéologiques. C’est ainsi dans l’artifice formel, pleinement assumé et même mis en spectacle, que semble se construire une pensée caractérisée par l’audace et le paradoxe.


Cyrano de Bergerac palesa nel ritmo il suo interesse per il concetto di “ enchaînure ”, di parole o di referenti, usando alquanto spesso, nei suoi romanzi Les États et empires de la lune et du soleil, la concatenazione, quella figura retorica ovviamente artificiale che consiste nel iniziare ogni proposizione con ciò che concludeva la precedente. La rigidità quasi meccanica del procedimento lo rende evidentemente atto agli effetti comici, ma egli esprime anche scelte essenziali : una propensione in qualche modo strutturalistica a descrivere relazioni piuttosto che oggetti, ed il desiderio permanente di sottolineare la relatività delle gerarchie e le opinioni correnti. Lo spettacolo deliberato d’un artificio formalistico permette dunque all’autore d’organizzare un pensiero ardito e paradossale.


Françoise RULLIER-THEURET, Tocqueville et les potraits-robots, 105, p. 37-42

Tocqueville, dans la seconde Démocratie développe de larges perspectives sur l’habitant des sociétés démocratiques, le citoyen qu’il décrit se veut une synthèse, abstraite mais ressemblante. L’exemple documentaire n’a pas sa place dans l’économie de ce discours qui se situe toujours à un haut degré de généralisation. Lorsqu’on prétend énoncer les lois du monde, il faut viser non des référents particuliers, mais des classes dans leur ensemble, et l’étude du mode d’actualisation des groupes nominaux se révèle pleine d’enseignements sur la manière dont Tocqueville expose et développe sa pensée. On ne trouve pas dans ses écrits l’alternance attendue entre le générique et le spécifique, le générique est plus fréquent, et même lorsque la phrase semble basculer dans le particulier, l’auteur ne sait parler des hommes que sur le mode générique.

Appliqué à l’homme, l’article un a un fonctionnement particulier : le texte glissant de les hommes à un homme, produit des passages qui ressemblent à des portraits. Cependant, un homme chez Tocqueville, si particularisé soit-il, représente toujours la classe entière. L’indétermination entre le générique et le spécifique est la marque de fabrique d’un monde où l’égalité des conditions a rendu les individus semblables.

Ces portraits génériques fonctionnent comme autant de schématisations pseudo-personnalisantes. Les détails ne sont pas gratuits, les comportements signifient les mentalités et les lois qui les gouvernent, les “ portraits-robots ” apportent au texte leur vertu démonstrative. Ce sont des quasi-abstractions qui sont appelées à jouer le rôle d’images. L’alliance de la rhétorique et de l’argumentation se noue à ce niveau profond, où l’illustration abstraite, l’exemple générique, est reversée au compte des idées générales.


Julien PIAT, À propos du « Sexe enflammé » de Michel Leiris , 105, p. 48-51

Programmée, au sein de la poétique de Leiris, pour être orientée vers sa propre mise en danger, l’écriture de L’Âge d’homme est envisagée à travers cet extrait dans une double perspective : écriture du diagnostic dysphorique et écriture du ressaisissement. En s’appuyant sur l’évocation d’une pathologie aux investissements psychologiques lourds – celle du “ sexe enflammé ” –, on peut en effet tenter de comprendre quels patrons stylistiques – lexicaux, syntaxiques et pragmatiques – le moi-auteur met en place pour se dire, aussi, à travers son mal. Et l’on verra alors que ces mêmes ressources – cette stratégie – permettent à l’écriture de se constituer en cure.


Focusing on a pathology in which the self is deeply at stake –a penis inflammation– the passage from L’Âge d’homme that is commented upon particularly matches with Leiris’s poetics of prose: writing as a search for constant danger. A diagnosis, writing is here questioned through the stylistic schemes and frames that allow the writer to say not only his disease but himself. These devices, including vocabulary, syntax, and pragmatics uses, will eventually be investigated as a means to get over the crisis –i. e. as a cure.