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Résumés des articles du n°104

janvier 2005


Anne Carlier, Ce sont des Anglais : un accord avec l’attribut ? 103, 13-18

La tournure Ce sont des Anglais viole-t-elle la règle selon laquelle le verbe s’accorde en nombre avec le sujet ? Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de procéder au préalable à une ana­lyse syntaxique de la structure et de déterminer quel constituant a la fonction syntaxique de sujet. Trois analyses différentes ont été proposées.

Le présent article évalue successivement ces trois analyses syntaxiques et examine en particulier dans quelle mesure elles sont capables d’offrir une solution au problème que pose la forme verbale au pluriel dans la tournure Ce sont des Anglais.


Corinne FERON, Modalisation et verbes d’opinion : quelques remarques sur croire, cuidier et penser en usage direct dans la Queste del Saint Graal, 104, 15-21

Nous nous intéressons aux emplois modalisateurs de cuidier, croire et penser dans des romans en prose du XIIIe s. Dans certaines constructions, ces verbes, à la 1ère personne de l’indicatif présent, sont assurément des modalisateurs : ainsi en imbriquées et en parenthétiques – représentées uniquement, dans notre corpus, par des comparatives (si com je cuit/croi/pens) ; le rôle de ce type de parenthétique est sans doute différent de celui des incises (je cuit/croi/pens) ou incidentes (ce cuit/croi/pens), bien attestées en vers : les comparatives indiquent qu’il y a conformité entre le contenu de l’assertion et une croyance présentée, semble-t-il, comme acquise indépendamment de l’énonciation, alors que les incises ou incidentes renvoient à une opinion qui n’est pas acquise antérieurement à l’énonciation. Quant à la construction avec complétive, elle est ambigüe : je cuit/croi/pens que-P peut faire partie du contenu asserté et décrire la croyance du locuteur ou bien, comme en imbriquée et en parenthétique, avoir pour rôle de modaliser l’énoncé constitué par le contenu de la complétive.


Sophie DUVAL, “ Je veux rire et pleurer en même temps ”  : humour et logique antonymique dans Le Mariage de Figaro, 104, p. 31-35

L’intrigue et la problématique générique du Mariage de Figaro peuvent être formalisées en termes d’antonymie. Or, si ironie et bel esprit jouent fréquemment sur des paires d’antonymes, c’est surtout l’humour qui semble subvertir la logique antonymique par son travail de neutralisation des oppositions et d’amalgame des incompatibles. En tant que point de croisée du drame et de la comédie, l’humour est ici étudié dans son rapport au pathétique, à l’ironie et à la parodie. Il s’agit de repérer l’inscription stylistique de la synthèse humoristique dans la parole théâtrale, d’analyser son rôle dans le traitement de personnages et de scènes qui pourraient verser dans le pathétique et finalement de confronter la mise en cause des disjonctions antonymiques avec le rapport de la fiction théâtrale à la réalité.


The plot and the genre problematic of Le Mariage de Figaro could be formalised in terms of antynomy. But, if irony and wit work, as often as not, through antynomic pairs, humour, above all, seems to subvert antynomic logic by neutralising opposites and amalgamating incompatible notions. Operating at the crosswords of drama and comedy, humour is analysed in its relation to pathos, irony and parody. The aim is to highlight the stylistic treatment of the synthesis a work in the humour of dramatic language, to analyse its treatment of characters and scenes that might otherwise lapse into pathos, and finally to confront the questioning of antynomic disjunctions to the relation of theatrical fiction to reality.




Olivia GUERIN, Autoportrait et mise en scène des discours : les fonctions de la méta-énonciation et de la modalisation autonymique dans L’Âge d’homme de M. Leiris, 104, p. 43-49

Les critiques littéraires ont souvent été attiré l’attention sur le “ cratylisme ” de M. Leiris et sur la valeur oraculaire que l’auteur accorde volontiers au langage. Dans une perspective plus linguistique, nous aimerions insister sur le fait que L’Âge d’homme se présente non pas seulement comme une réflexion sur la motivation des mots, mais aussi comme une mise en scène de la parole et du discours, qui se reflète dans l’énonciation elle-même. Une multitude de discours s’entrecroisent au sein de cette énonciation autobiographique, et le narrateur vieillissant, en donnant une représentation méta-énonciative de son discours en train de se faire et de la manière dont il intègre ces discours autres, nous donne à lire un positionnement. Cette étude sera axée sur les formes et les fonctions de la méta-énonciation et de la modalisation autonymique (Authier 1995). La modalisation autonymique permet tout d’abord à Leiris de dépeindre son univers social, et de se dépeindre lui-même en creux, puisqu’elle met en exergue la distance que l’énonciateur prend à l’égard de ce milieu et la manière dont il se constitue une nouvelle identité discursive par l’appropriation d’autres discours. Ce qui se lit dans ces formes modalisées peut d’autre part être interprété comme une mise en scène du rapport mi-inquiet mi-idéalisé que Leiris entretient avec le langage, et une telle mise en scène lui permet de se constituer en sujet autobiographique renouant les fils de son histoire, en instituant des concepts fondateurs de son univers fantasmatique.



Cécile NARJOUX- Sabine PETILLON, “ “Fuir la trop linéaire continuité”: parenthèses et tirets doubles dans L'Âge d'homme de Leiris ”, 104, p. 50-54

« La phrase est un objet, en elle une finitude fascine (...) mais en même temps, par le mécanisme même de l’expansion, toute phrase est insaturable, on ne dispose d’aucune raison structurelle de l’arrêter ici plutôt que là ”(Barthes). C’est peut-être sans connaître la “ catalyse ” définie par Hjelmslev – cette infinité des possibilités d’expansions et de bourgeonnements syntaxiques –, abondamment décrite par Barthes que Leiris cède si souvent au vertige catalytique : “ Fuir la trop linéaire continuité ou la briser avant même qu’elle s’instaure, c’est à cela que répondent et le plaisir que je prends à établir, en quelques mots, de pseudo-définitions de dictionnaires et mon goût – excessif, je le sais du point de vue des gens de goût pour les incises et les mises entres parenthèses ou entre tirets, lié quant à lui non seulement au besoin, par crainte constante du faux pas, de préciser, de corriger (...) mais aussi au désir de couper mes phrases, les syncoper, les morceler (...) » (Leiris) 

Ici, l’instrument de la syncope – du fainting – est composé du binôme graphique que constituent la parenthèse et le tiret double. Marques du délai, du retard, du détour, ces signes (se) jouent et jouissent précisément des contraintes imposées par la linéarité langagière. Parenthèses et tirets doubles donnent à voir une complexification de l’énoncé : celui-ci n’est plus strictement monolinéaire mais exhibe un lieu autre, une autre ligne (et parfois plusieurs) grâce à laquelle la monolinéarité linguistique peut être ‘vécue’ sur un mode pluriel . Grâce au “ décrochement (typo)graphique ”, c’est-à-dire grâce à la mise entre parenthèses et tirets, le dire se ramifie par cohabitation de deux plans hétérogènes (plan insérant, plan inséré). En effet, l’opération de décrochement implique un décalage, un dénivelé ou plutôt une sorte d’épaississement (de dédoublement) du fil de l’énoncé, de double voie, de double voix également ! C’est dans cet incessant dédoublement des voies que Leiris rencontre la douleur – d’affronter la clôture syntaxique – et le “ plaisir du texte ”, ou plutôt de la phrase.